Green Earth - Bernard Point - 11/2013 Paris

Une récente visite dans l’atelier de Bertille de Baudinière me place spontanément les pieds sur terre.
Positivement je réalise carrément le positionnement de notre planète en inscrivant sa circularité au cœur des carrés porteurs de ce labourage. En effet la matière picturale est en réalité à base de terre qui, grâce à la caséine, devient paradoxalement aussi fluide que la vase marine, à la limite mouvante des marées entre continents et océans. Chaque œuvre se met au vert afin d’imprégner des pigments naturels en provenance de multiples pays, éclairés par les lumières, ou pénétrés par les ombres de leurs origines géographiques. Souvent il m’arrive d’éprouver le plaisir de naviguer en dialogue avec ces différentes approches conflictuelles entre ces îlots flottants, qui témoignent, en dépit de leur matière minérale, de la présence majoritaire des océans, ce qui permet à nos continents de s’ancrer calmement en embarcations géantes.
Une série baptisée Green Earth me propose ainsi d’aller « to the ends of the earth » afin de passer d’un parcours arachnéen sur une terre d’Orient (n° 88) à un positionnement méditatif en terre d’Italie, qui flotte doucement au-dessus d’un pétillement bullaire (n° 101) et éclatant. Je peux maintenant devenir vert de peur lorsque la terre du Sahara se pose lourdement devant mes yeux, sur un support qui affirme le rectangle horizontal de l’espace d’origine. En me portant en terre je me per- mets de citer Alfred de Vigny : « Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre » en prenant conscience d’enrichir ces merveilleux rêves, suscités par le trouble ambigu qui respire au sein de ces œuvres.
De retour sur la terre verte de Brentonico (n° 34), mes fantasmes peuvent perdre terre en s’élevant magiquement dans des cieux qui toujours sont perçus avec fascination, lorsque je contemple de grandioses horizons maritimes. Quand Bertille me signale qu’elle cherche à mettre la vie sur « pause », je peux lui répondre que ces stations de contemplation sont pour moi des escales créatives qui me terrent à l’abri de gesticulations superficielles. L’artiste qui ose dire : « Je me prépare à travers mon art à la possibilité de ne pas être » m’offre le bonheur de toucher terre en me faisant débarquer sur des rivages entre pigments naturels et flottaisons célestes.
Bertille de Baudinière est en réalité au plus profond de l’être, et par sa force picturale donne vie à cette planète vertement et nativement végétale.
Bernard Point*, 11/2013

*fondateur de l’école municipale des beaux-arts de Gennevilliers et de sa galerie Édouard Manet

Décès de Bernard Point le 13/02/2015